• Chapitre 4


    Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire
    Que les parfums légers de ton air embaumé
    Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
    Tout dise «Ils ont aimé!»
    Lamartine.


    Oncle André

     


    André, l'aîné des frères, a fait sa vie dans l'Orléanais avant le mariage de sa sœur, Léontine. La vie d'un misérable simplet n'ayant pas de travail. Il rencontre une fille. de condition similaire. Alors, ils font route ensemble. Vivant de quoi? Marguerite ne le saura jamais malgré les visites que leur rend sa mère qui fait ce qu'elle peut pour les aider à subvenir à leur famille. Quand Léontine se marie, André a déjà quatre gosses maigrelets Il fera encore trois gosses puis le couple se disloquera. Chez Léontine et Victor, c'est devenu trop petit pour le loger. Il est placé chez les Petites sœurs des Pauvres qui le chargent d'éplucher les légumes et balayer les chambres en échange de l'hospitalité. Une femme, Anna, qui, par charité, rend souvent visite à des résidents le remarque, l'apprivoise et se prend d'affection pour lui au point qu'elle l'accueille, l'installe même chez elle. La communauté avertit Léontine du départ d'André chez Anna. Elle est découragée mais pas désespérée. Qui est cette Anna ? Les sœurs assurent que c'est une bonne personne. Auparavant, André revenait toujours vers elle. Il reviendra sûrement... peut-être ? Mais les années passent, André ne revient pas et Léontine est de plus en plus inquiète. Il pourrait être mort et elle n'en saurait rien! Tant d'années sans nouvelles ! Qui leur a dit qu'il avait été vu dans la vieille ville du chef-lieu ? Marguerite veut en avoir également le cœur net. Elle devine que sa mère ne la laissera pas partir à la recherche d'André aussi fait-elle un mensonge pieux en disant devoir prendre le train pour aller se confesser à la cathédrale de la grande ville, la veille du quinze août. Elle se rend chez les Petites sœurs pour avoir l'adresse. C'est dans la vieille cité, au pied de la cathédrale. Une petite maison moyennâgeuse à colombages avec des géraniums à la fenêtre. Le ciel est anormalement maussade en ce jour d'été ce qui lui permet de s'abriter sous son parapluie et c'est tant mieux ainsi elle ne se fera pas repérer. Elle n'ose pas sonner à la lourde porte en bois cloutée. Alors, elle avise celle d'un voisin.

    - Je voudrais des nouvelles de la personnes qui habite à côté de chez vous.
    - Madame Anna ? Je crois qu'elle vit avec un bon petit père. Vous ne la trouverez pas à cette heure. Ils vont souvent se promener tous les deux vers le musée.
    Marguerite est rassurée d'entendre de si bons renseignements et c'est camouflée sous son parapluie quelle se dirige vers le musée, se mêle aux visiteurs et sans plus de façon, elle s'adresse à la surveillante:
    - Je suis la nièce du Monsieur qui donne le bras à la dame. Vous le connaissez ?
    - Oh ! Bien sûr ! Ils viennent très souvent tous les deux ! Qu'est-ce qu'il est gentil ce petit bonhomme !
    - Vous en savez des choses !
    - C'est qu'il est très causant et ça se voit, qu'il est très heureux.
    Une fois dehors, Marguerite, abritée des regards sous son parapluie, les suit discrètement et les voit se diriger vers le Jardin des Plantes. Elle les regarde s'asseoir sur un banc mouillé qu'André à essuyé avec son grand mouchoir à carreaux avant qu'Anna ne se pose. Et ils demeurent là, main dans la main, à contempler le jet d'eau du bassin recevant les eaux du ciel. Alors Marguerite se dit qu'Anna est bonne pour lui et que son oncle est vraiment heureux. Pleinement rassurée, elle quitte à petits pas le jardin et repart vers la gare. Elle ne regrette pas son mensonge et c'est avec des embrassades que sa mère accueille ces bonnes nouvelles. Une autre fois, elle retournera dans la rue pavée et n'hésitera pas à sonner à la porte. Elle sera gentiment accueillie. C'est en prenant la main d'Anna qu'André dira:
    - Si tu savais, Marguerite comme je suis heureux avec ma petite femme ! Tu peux le dire à ma sœur, tu sais !
    Il retrousse sa manche et d'un air émerveillé comme un enfant qui a découvert un cadeau au pied du sapin, il s'extasie :
    - Regarde la belle montre qu'Anna m'a donnée ! Et c'est pas tout ! J'ai aussi un beau vélo !
    Quelques années plus tard les Petites Sœurs des Pauvres lui font savoir qu'André est retourné à la communauté parce qu'Anna s'en est allée au Grand Cimetière. Marguerite veut le voir. On lui répond qu'il est alité. Elle entrouvre plusieurs portes et s'arrête dans l'embrasure d'une chambre :

    - Excusez-moi, je suis une parente... Le beau pépé, qui c'est ?
    Marguerite, dans sa confusion, peine d'abord à le reconnaître. C'est pourtant bien lui malgré son visage amaigri.

    - Ne me cachez rien ! Je suis sa nièce.
    - Hé bien, pour être franche, répond une petite sœur d'une voix faible, il va nous quitter très bientôt.
    Marguerite sera la seule famille à la sépulture de huit heures trente dans la petite chapelle de l'hospice. Anna avait exprimé la volonté qu'il soit enterré dans le même caveau qu'elle. Il en fut donc ainsi. Le corps d'André alla rejoindre celui d'Anna. On aurait presque aimé qu'ils fussent dans le même cercueil, les mains jointes comme sur le banc du Jardin des Plantes.

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